La mer Baltique revient sur le devant de la scène après la publication par le Moscow Times, le 21 mai, d’un décret indiquant que la Russie a l’intention d’étendre son territoire maritime dans le golfe de Finlande et au large de Kaliningrad aux dépens de la Finlande et de la Lituanie. En outre, les gardes-frontières russes ont enlevé des bouées marquant la frontière entre la Russie et l’Estonie dans la rivière Narva. Ces événements s’inscrivent dans le cadre de la guerre hybride menée par la Russie contre l’Occident.
Pendant la guerre froide, les rives orientale et méridionale de la mer Baltique étaient contrôlées par l’Union soviétique et ses vassaux. L’Union soviétique considérait la mer Baltique comme fermée aux États non côtiers – à savoir les États-Unis et l’OTAN – et comme une « mer de paix » ; une mer fermée dominée par l’Union soviétique.
La dissolution de l’Union soviétique a entraîné un bouleversement presque total. Aujourd’hui, la Russie n’a plus que deux débouchés sur la mer Baltique : la région de Saint-Pétersbourg dans le golfe de Finlande et Kaliningrad. Toutes deux sont d’importantes bases navales. Les autres États riverains sont membres de l’OTAN et de l’UE.
Modifications des frontières
On ne sait pas exactement comment la Russie entendait modifier les frontières. En tout état de cause, le décret a disparu le 22 mai. Selon la presse, la Russie avait l’intention d’étendre ses eaux intérieures, c’est-à-dire de repousser sa frontière territoriale vers l’extérieur. Une différence importante entre les eaux intérieures et les mers territoriales est que dans ces dernières, les navires de guerre d’autres pays ont le droit de passage inoffensif, ce qui n’est pas le cas dans les eaux intérieures. La région de Saint-Pétersbourg et la région de Kaliningrad disposeraient ainsi d’une plus grande zone d’eaux intérieures où les navires de guerre étrangers ne pourraient pas opérer légalement. Ces deux zones sont d’une importance géopolitique capitale pour la Russie.
La modification des lignes de base dans les eaux étroites situées à l’extérieur de ces deux zones affecterait évidemment les États voisins, en l’occurrence la Finlande et la Lituanie. La Finlande et la Russie ont conclu un accord datant de l’ère soviétique (1965) sur la délimitation des frontières maritimes territoriales. La Lituanie et la Russie ont conclu un accord similaire en 1997, mais il n’est pas entré en vigueur. Il est clair que les modifications de frontières affectant des États voisins ne peuvent pas être proclamées unilatéralement, mais nécessitent des négociations. Ces négociations n’ont pas eu lieu et, pour l’instant, l’avance a été retirée.
Que voulait obtenir la Russie ? Le changement de frontière en lui-même serait bénéfique mais pas décisif. Plus important encore, il est susceptible de créer de l’incertitude et, au mieux, des divisions au sein de l’UE et/ou de l’OTAN. Dans le « meilleur des cas », quelqu’un réagit de manière excessive, ce qui offrirait de nouvelles opportunités à la Russie. La Russie a également mis sur la table une carte sur laquelle elle peut revenir.
Les bouées de la rivière Narva
Les bouées de la rivière Narva étaient destinées à empêcher les navires de franchir accidentellement la frontière. À notre connaissance, aucune explication n’a été donnée quant à l’action de la Russie. Il est intéressant de noter que le personnel qui a levé les bouées était masqué.
L’incident pourrait être considéré dans le contexte de l’émission par la Russie d’un mandat d’arrêt contre le Premier ministre estonien Kaja Kallas le 13 février de cette année – pour un crime inconnu. Toutefois, ce mandat n’a aucun effet juridique.
Pris ensemble, ces deux événements suggèrent que la Russie ne perçoit pas l’Estonie comme un pays indépendant, mais comme une partie de la Russie. Ce qui correspond bien à la rhétorique russe.
Discussion
La mer Baltique est parfois qualifiée de « mer de l’OTAN ». C’est à la fois dangereux et inexact. Il est certain que l’OTAN devrait être en mesure de confiner la marine russe à Saint-Pétersbourg et Kaliningrad à la guerre – à moins qu’elle ne soit déjà sortie en mer pour, par exemple, prendre Gotland afin de créer une zone de protection au large des États baltes. L’objectif pourrait alors être d’empêcher l’OTAN d’envoyer des renforts. Mais aujourd’hui, la paix règne, même si elle est tendue, dans la région de la mer Baltique.
La Russie agit très clairement pour montrer que le discours sur la mer de l’OTAN est faux. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer ces événements. En outre, les navires de guerre et les avions de chasse russes ont un comportement actif et parfois agressif dans la région. Le nombre de sous-marins a augmenté ; en 2022, deux corvettes suédoises ont pu suivre les essais d’un nouveau sous-marin russe dans la mer Baltique – le sous-marin est passé au moins en partie en mode surface ; pour démontrer sa présence ? Un autre phénomène relativement nouveau est la perturbation généralisée du système GPS dans le sud de la mer Baltique, qui met en péril le trafic maritime et aérien.
Mais l’OTAN devrait également éviter de parler de la mer Baltique comme d’une mer de l’OTAN, car cela donne l’impression qu’il n’y a pas de danger dans la région. Au contraire, comme nous l’avons vu plus haut, une guerre hybride russe est en cours. La présence navale des navires de guerre de l’OTAN est donc très importante. Les petites marines régionales font ce qu’elles peuvent, mais ce n’est pas suffisant. La présence des alliés – notamment la France, le Royaume-Uni et les États-Unis – est nécessaire pour souligner que la mer Baltique est en grande partie une mer internationale. Le droit international ne permet pas non plus de considérer la mer Baltique comme une mer intérieure réservée à l’OTAN.
En outre, les eaux peu profondes et saumâtres de la mer Baltique constituent un environnement difficile et différent pour les flottes des grandes puissances. En temps de crise et de guerre, un effort naval important sera nécessaire pour maintenir ouvertes les voies maritimes entre l’Atlantique et les États riverains de la Baltique. Il est donc très important que les navires de guerre alliés apprennent à connaître l’environnement par leur présence et leurs exercices.
Lars Wedin est Capitaine de vaisseau (er) Marine Suédoise et membre associé à titre d’étranger de l’Académie de marine